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Découverte de Nuku Hiva, Marquises


Apae Hanaiapa

La chèvre est entrain de mijoter sur le feu. Tatiana et Adam, nos amis marquisiens, préparent un dernier repas avant notre départ. C’est la pause de midi, Adam retournera à son travail en retard mais ici, la vie se décline au présent. On ne court jamais après le temps, on le prend, pas la peine non plus d’essayer de le calculer. D’ailleurs, j’ai retenu une phrase qu’une marquisienne m’a dit un jour alors que je cherchais à chiffrer le temps : « ça prend le temps que ça prend... ». Ici, nous avons gouté à la langueur polynésienne qui va nous engourdir de plus en plus... A quoi bon courir ?

APAE, 4 lettres qui signifie au revoir en marquisien. Nous faisons le tour du village et des gens, nous saluons même Monsieur le Maire ! Merci à vous tous pour votre accueil chaleureux et votre gentillesse ! Je n’oublierai jamais le jour où les habitants se sont mis à nous serrer la main pour nous saluer, nous avons eu l’impression de faire partie du village. Tatiana et Adam, comme c’est dur de vous quitter alors je préfère dire à bientôt, car je sais qu’un jour je reviendrai... Quand ? Eh bien, ça prendra le temps que ça prendra pour revenir... Difficile de retenir nos larmes...

Vagabond avance lentement. L’alarme stridente du témoin de la pression d’huile du moteur va nous rendre fou, un faux contact. Le moteur nous joue de vilains tours depuis qu’il a mangé du plastique au Panama... Trois coups de corne de brume résonnent dans la vallée et signifie que nous sommes, malgré tout, bel et bien parti. La silhouette montagneuse de l’île de Hiva Oa disparaît petit à petit. Le bateau avance à 6 nœuds poussé par un bon vent de travers, un ris dans la grande voile et le foc. Mais ça ne va pas durer, à peine une heure plus tard, nous nous traînons à trois nœuds en regrettant notre génois déchiré en lambeaux pendant la traversée...

Quand on vit collé serré 24 heures sur 24...

Nous avons 80 milles nautiques devant notre étrave jusqu’à l’île de Nuku Hiva. Une bête prise de tête vient plomber l’ambiance. Tom a le malheur de clôturer la discussion par : « Et bien, si c’est comme ça, j’assume les quarts toute la nuit, tout seul ! ». Du coup, sur ces dernières paroles, je le prends au sérieux et je pars me coucher... Bon, au moins, la nuit sous la voie lactée est magnifique et très inspirante, Tom écrit un de ces plus beau textes. Bref, tout ça pour dire que la vie à deux, 24 heures sur 24, dans un minuscule espace bordélique où l’on se marche dessus et où l’on partage absolument tout et bien, ce n’est pas toujours aussi romantique qu’on pourrait bien le croire... Les réseaux sociaux et les blogs ne dévoilent que les beaux côtés et vendent du rêve, c’est le but non ? Mais vivre sur un petit bateau peut être très confrontant pour un couple, surtout lorsqu’on est deux têtus au fort caractère. L’essentiel, c’est de communiquer et de ne pas se coucher fâché. Et même si ce n’est pas rose tous les jours, pour rien au monde je ne changerais de vie...

Nuku Hiva, retrouvailles avec les copains à Taiohae

Vue de la mer, la beauté de Nuku Hiva est saisissante. Au mois de juin, il y a une quarantaine de bateaux dans la grande baie de Taiohae. Je trouve que c’est beaucoup, mais j’avoue que je me plains sur un niveau élevé... Situé au centre d'un cratère à demi effondré dans la mer, Taiohae, la capitale administrative des Marquises est une petite ville aux allures de village. Nous profitons de toutes les facilités : nous connecter à Internet, faire remplir notre bouteille de gaz, faire le plein de diesel, les achats de nourriture, compléter notre pharmacie (les médicaments courants et les sparadraps sont épuisés, je suis maladroite). L’eau est verte et non potable, alors comme il pleut beaucoup et bien nous installons un système de récupération d’eau de pluie. Ça faisait longtemps que c’était sur notre « liste des choses à faire ».

Les apéros s’enchaînent, nous passons d’agréables moments en bonne compagnie. Qu’est-ce que c’est sympa de revoir tous les copains ! Nous retrouvons nos amis Axel et Christina du petit voilier norvégien. Mais aussi Els et Jean-Christophe qui sont ancré à côté de nous. Nous nous étions rencontrés grâce à Facebook, comme quoi les réseaux sociaux n’ont pas que du mauvais... Au début du voyage, en Méditerranée, les rencontres étaient très rares, alors Els a posé la question sur un groupe Facebook : « Qui suit la même route que nous ? ». Ce fut le début d’une belle amitié...

Des amis français que nous avions rencontrés aux îles Grenadines viennent juste d’arriver de la traversée. Philipe est un ancien militaire qui avait participé, à l’époque, au tests nucléaires dans les atolls. 47 ans plus tard, il revient, accompagné de sa femme Chantal, pour lui faire découvrir les endroits qu’il a connu et dont il était tombé sous le charme... Ils ont embarqué Suad, une voyageuse qui faisait du bateau stop.

En ce moment, les bateaux scandinaves sont en majorité. Nous sommes invités pour fêter un anniversaire chez des jeunes suédois. Ils ont préparé plein de délicieux petits plats et l’apéro va durer de midi à plus de minuit. Heureusement qu’il n’y a jamais de contrôle d’alcoolémie dans la baie et que Vagabond a un feu de mouillage clignotant, ça aide pour le retrouver au milieu des autres bateaux. Bref, Tim le suédois a acheté son catamaran en Martinique, il a ensuite appris à naviguer un peu, avant de s’élancer dans la traversée du Pacifique. « J’étais nerveux, parfois insupportable, je n’aurais jamais pu prendre des coéquipiers car ils ne m’auraient pas supporté ». J’adore son honnêteté ! Sa copine a tenu le coup, alors, il a fait sa demande en mariage à l’arrivée !

Nous faisons quelques rencontres intéressantes dont Pascal, un français, enseignant à la retraite anticipée, qui navigue sur un petit Dufour de 29 pieds (8,7 mètres), équipé aussi simple, voir encore plus rudimentaire que Vagabond !!! Il a fait la route via le cap Horn et les canaux de Patagonie. En hiver et sans chauffage, il ne faut pas avoir peur du froid ! Au Chili, il a rencontré sa femme qui a embarqué pour l’aventure, ils ont traversé le Pacifique en faisant escale à l’île de Pâques. Les photos et les récits nous font rêver et nous donnent des idées d’itinéraires futurs... Mais pour l’instant, le climat tropical nous convient parfaitement...

Des paysages grandioses !

Avec ses 330 kilomètres carrés, Nuku Hiva est la deuxième plus grande île de Polynésie après Tahiti. Nous louons un petit 4x4 pour en faire le tour. Le trajet est spectaculaire et les panoramas sont impressionnants. Nuku Hiva offre une diversité de paysages vraiment incroyable ! De la forêt tropicale aux côtes arides en passant par des cols et des sommets vertigineux, nous traversons un plateau de forêts de pins dans un épais brouillard mystique et froid. Les chevaux sauvages sont nombreux. Allez ! On redescend, il fait trop froid là-haut ! Le ciel se dégage progressivement. La végétation se fait de plus en plus rare, des chevaux galopent sur la route. Nous sommes à « Terre déserte ». Une route, où plutôt un petit sentier de cailloux longe la côte nord de l’île. Des petites criques désertes, des forêts de bambous et des incroyables banians, des cocotiers à perte de vue, des pics de basaltes qui se dressent à la verticale... C’est majestueux ! Tout simplement grandiose ! Parfois, j’ai l’impression d’être plongée dans un décor de « Jurassique Park » et je ne serais pas vraiment surprise de voir surgir un dinosaure ! Nous nous arrêtons sous un très vieux banian géant planté sur un site archéologique chargé d’histoire. C’est ici qu’avaient lieu les sacrifices humains, on imagine les grandes casseroles où l’on faisait cuire son ennemi...

Marqués par les Marquises, on se fait tatouer !

Il pleut beaucoup. On profite de se faire tatouer, puisqu’il ne faudra pas nous exposer au soleil ni nous baigner pendant plusieurs jours. Nous sommes désormais marqués par les Marquises ! A l’époque, les guerriers portaient, sur l’entier de leur corps, des symboles tatoués sensés les protéger et les rendre plus fort. Les missionnaires ont longtemps tout interdit mais aujourd’hui, le tatouage est à nouveau très présent et les marquisiens sont habillés de véritables chefs d’œuvre sur leurs corps. Les tatoueurs sont des artistes, pas question de faire des « tatouages Internet » ! Ils ne font pas de copiage mais ils créent, à main levé, des dessins personnalisés. Pour choisir quels symboles correspond à la personne, le tatoueur va prendre le temps de discuter, le but est de raconter sa vie et ce qui est important pour soi.

Sinistre Hakaui

Une courte navigation de 5 milles nautiques nous emmène dans l’anse d’Hakatea, à côté de l’étroite vallée d’Hakaui. Quatorze bateaux au mouillage à notre arrivée, il y a la place mais cela enlève le charme. On se croirait dans un camping blindé en plein été. Apparemment, les familles scandinaves se sont données rendez-vous et les joyeuses petites têtes blondes s’amusent au paradis.

Avec nos amis Els et Jean-Christophe, nous remontons la rivière en annexe. Devant nous, se dressent de spectaculaires murailles basaltiques noires. Un cheval est attaché sous un cocotier au bord de l’eau. Je sors ma gopro pour immortaliser ces instants de pure beauté et plouf ! Elle tombe à l’eau ! Malgré tous nos efforts, nous ne la retrouvons pas. Elle restera enterrée dans le fond vaseux de la rivière. Mince !

« Le bruit des pas résonne d’une façon lugubre comme dans une crypte funèbre où l’on entend un mugissement pareil à celui qui sort d’un gros coquillage appliqué à l’oreille ». Max Radiguet* (Les Derniers Sauvages, ouvrage paru en 1860) a su décrire les sensations que le visiteur peut ressentir, aujourd’hui encore, lorsqu’il arpente le sentier qui traverse l’étroite vallée encaissée entre des falaises noires pour atteindre une des plus haute cascades du monde. Malheureusement, elle est asséchée et une chèvre en décomposition dans le plan d’eau nous empêche de nous baigner. Nous avons payé un droit de passage de 1000 francs par personne (10$), pour soi-disant entretenir le chemin, tu parles ! A ce prix-là, ils pourraient au moins enlever le cadavre qui empeste depuis un moment déjà... Le décor est absolument époustouflant mais quelque peu austère et sinistre. Je ne ressens pas que de bonnes ondes... Le terrible drame qui s’est déroulé ici il y a dix ans hante nos mémoires... C’est l’histoire d’un couple allemand parti pour un tour du monde en catamaran. Le mec s’en va à la chasse avec un marquisien mais il ne reviendra pas. Il finit découpé en morceaux et brûlé. Le meurtrier va ensuite chercher la femme pour la violer et la tuer elle aussi, mais par chance, elle parvient à s’échapper... Ce terrible drame avait fait la une dans les médias, les gros titres affichaient « cannibalisme aux Marquises ». Ternis par cette image, les habitants l’ont très mal vécu. Le gars, probablement bien dérangé dans sa tête, a pété un plomb, mais son but n’était pas de manger de la chair humaine. Tom a lu le livre et le documentaire et connaissant les détails, on peut comprendre la réaction que cela a dû produire ici... L’histoire est aujourd’hui oubliée mais probablement pas effacée. Les voiliers viennent nombreux admirer le site très spectaculaire et si à l’époque, on les accueillait encore généreusement les bras ouverts en leur offrant des fruits, aujourd’hui on en retire une coquette somme d’argent. « Les français râlent, les autres payent et se taisent » c’est ce que nous dirons les habitants...

Le moteur va finir par nous rendre fou

Notre moteur continue de nous traumatiser, il crève plusieurs fois au moment de lever l’ancre. Enfin il redémarre et nous passons, la peur au ventre, juste à côté des impressionnantes falaises noires où les vagues s’éclatent avec violence. S’il te plaît, ne nous lâche pas maintenant... Nous naviguons 5 milles nautiques contre le vent, la houle et le courant jusqu’à Taiohae, avec quelques grains qui viennent compléter le tableau. Le moteur est sympa, il tient le coup jusqu’à ce qu’on soit bien à l’abri. L’ancre est jetée rapidement, ouf ! Dans ce mouillage, les bateaux roulent et font de nombreuses pirouettes cacahouètes et parfois, nous nous retrouvons le nez chez le voisin américain qui a mis des kilomètres de chaîne. Nous passons le voir pour nous excuser d’avoir ancré si proche, nous bougerons dès que le moteur voudra bien redémarrer, « oh, don’t worry, no problem », il est sympa. L’autre voisin, sur un voilier classique, enclenche sa bruyante génératrice installée sur le pont pendant des heures. Le vacarme me dérange au point où je n’entends plus que ça, de quoi me rendre d’une humeur exécrable ! Tom décide d’aller lui dire deux mots. « Non mais chéri, tu vas encore te faire des ennemis ! Arrête ! Tu ne vas tout de même pas lui apprendre les règles de bonnes conduites ! » Trop tard, Tom est du genre à dire ce qu’il pense ! Eh bien, figurez-vous qu’il se retrouve face à un vieux papy anglais adorable, son moteur ne démarre plus (lui aussi) et il explique s’être fait volé ses panneaux solaires par un bateau français. Son excuse est pardonnable, comment peut-on être fâché avec un type comme ça ? Et surtout, comment peut-on se voler entre navigateurs ?

La pluie continue de tomber sans arrêt. Tom passe ses journées à s’occuper du moteur, grrrr. Il faut préciser que ce cher et tendre « Vetus » ou « Mitsubishi, c’est la voiture que j’ai choisie » était pratiquement neuf au départ et que c’était un des arguments pour lequel nous avons acheté ce bateau. Il semblerait que l’on a un peu la poisse avec lui. Bon, grâce à l’aide précieuse de nos amis navigateurs, Tom arrive enfin à le faire démarrer ! Cette fois-ci, le problème était dû au fait qu’il y avait une prise d’air dans l’alimentation de diesel...

Dixième médecin...

Alors que le moteur est guéri, c’est à mon tour de tomber malade. En deux ans, Vagabond a vu dix mécaniciens et son équipage : dix médecins ! A se demander si on ne va pas faire le tour du monde des hôpitaux et des mécaniciens ! Tom voulait revoir l’hôpital où il avait séjourné lors de son précédent voyage, et bien nous y sommes ! A l’époque, Tom s’est retrouvé paralysé à cause d’une hernie cervicale. Il a été accueilli comme s’il était le capitaine Cook ! Un traitement à base de cortisone l’a remis sur pied, ce qui lui a permis de poursuivre son voyage mais il a dû être opéré à son retour...

Des poules picorent le gazon devant la salle d’attente ouverte sur l’extérieur. Les charmantes infirmières ont toujours des fleurs dans les cheveux mais, plutôt bien en chair, elles sont loin de ressembler à Miss Tahiti. Il y a un virus qui rôde depuis une semaine et je l’ai choppé : j’ai une vilaine angine, des crampes musculaires, de la fièvre, une intense fatigue et la tête qui explose, de quoi me clouer au lit pour plusieurs jours... La maladie ou, le « mal a dit » que je n’ai pas avalé la triste nouvelle : Loup, mon très cher ami, est mort... J’ai perdu une personne très importante dans ma vie... Les larmes ne cessent de couler quand je revis tous les moments passés avec lui. J’ai voyagé en Inde au côté d’un voyageur, un homme vrai, très loin du matérialisme et du paraître. Il m’a appris à vaincre ma peur de l’eau et j’ai découvert l’océan grâce à lui... Et puis, il m’a appris la cuisine indienne et l’art de manier les épices pour préparer le curry... Mais, le plus important, se sont toutes les belles valeurs qu’il m’a transmises... Bref, aujourd’hui, je vis un drame au paradis mais je le sens près de moi... Il a rejoint l’océan, c’est ce qu’il voulait...

Le médecin me déconseille de naviguer dans cet état, seulement pour guérir, j’ai besoin de changer d’air et de décor. Nous quittons donc Taiohae. Antibiotiques + comprimé anti mal de mer = je me lève que pour admirer les dauphins et aider aux manœuvres. Quelques 20 milles nautiques plus loin, au moteur parce que le vent est faible et contre nous, nous arrivons dans la merveilleuse baie d’Anaho, au nord de Nuku Hiva. Le mouillage est très bien abrité et l’éternel roulis n’est plus qu’un mauvais souvenir. Vagabond est totalement immobile et la brise est agréable. Je reste allongée pendant quatre jours. A chaque fois que je regarde dehors, je me réjouis d’être rétablie et de profiter pleinement de cet endroit paradisiaque.

« Aucune partie du monde n’exerce une attraction aussi puissante »

C’est ce qu’écrivit Robert Louis Stevenson lorsqu’il a jeté l’ancre dans la baie d’Anaho en 1888. Il disait aussi « on écrirait des volumes sur les beautés d’Anaho ».

Une délicieuse sensation d’isolement m’envahit. Ici, il n’y a pas de route. Le seul moyen de transport est à pied ou à cheval. Quelques familles vivent à Anaho, d’autres ont des résidences secondaires. Il y a aussi une pension avec cinq bungalows, une colonie de vacances pour enfants et une petite chapelle.

Une heure de marche avec un joli panorama à la clé nous emmène dans la baie d’à côté, chez Moana, le maraîcher. Il prépare les citrons qui seront livrés à Bora Bora. Dans le jardin, je cueille des tomates, des aubergines, des concombres et des pamplemousses. Un petit tour à la plage pour constater que les courants déversent une bonne quantité de plastique et une armée de nonos me dévorent ! Pas le temps de faire une photo, je prends mes jambes à mon coup et je fuis ! Trop tard, je payerai cher de ma peau qui va me démanger pour les jours à venir, bilan : une centaine de piqûres ! Un record ! Quelques nonos se sont noyés dans l’huile de monoï citronnée, tartinée exagérément pour que ma peau devienne une patinoire, mais d’autres m’ont attaqué malgré les répulsifs. Sur le chemin du retour, je cueille du pourpier le long du sentier, c’est notre salade, je me fais bouffer par les moustiques ! Génial ! La vie est parfois rude aux Marquises.

Nos poubelles commencent à encombrer le pont du bateau, nous brûlons le papier mais tout le reste est soigneusement trié, lavé et emmené à la déchetterie dans le petit village d’Hatiheu. L’occasion de faire une superbe balade. Il pleut, le sentier est boueux et glissant et qu’est-ce que ça grimpe jusqu’au col ! C’est là qu’on se dit que ces derniers temps, on a abusé des apéros et qu’il va falloir entraîner le souffle et les jambes ! Là-haut, il y a l’antenne et un faible réseau qui me permet, sans trop de patience, de lire mes messages WhatsApp, mais pour le reste il ne faut pas trop espérer. Au bout d’une heure et demie environ, nous arrivons à Hatiheu. Le blanc de l’écume des vagues contraste avec le sable noir de la plage. Un homme baigne son cheval qui semble prendre plaisir dans l’eau et les vagues, en tout cas moi je me régale à le regarder. J’aime les chevaux et aux Marquises ils sont partout et je me sens au paradis ! Elle est belle cette plage avec ses pics de basalte en arrière-plan. A la Poste, il y a une connexion wifi et dans le village on trouve deux petites épiceries avec les produits de première nécessité.

Invités à bord du plus beau des voiliers

Dans la baie d’Anaho, nous sommes une dizaine de voiliers : français norvégiens, suédois, américains, belges, anglais et les néo-zélandais qui ne sont plus très loin de boucler leur tour du monde après douze ans de voyage. Une magnifique goélette classique vient d’ancrer à côté de nous, le bateau est français mais l’équipage est espagnol. Alors que nous sommes en totale admiration devant cette beauté sublime, les propriétaires viennent nous voir plein d’éloges et de questions sur Vagabond ! Totalement incroyablement surpris, nous ne pouvons que retourner les compliments. Ils nous invitent pour boire un verre qui se termine spontanément en souper. Des fromages, un extraordinaire vin rouge Rioja, du chocolat, nous avons été gâtés par tout ce qui nous manque le plus. J’aime visiter les voiliers, m’inspirer de l’ambiance chaleureuse des intérieurs personnalisés. Depuis notre départ, j’en ai vu des bateaux mais celui-ci est un véritable palais dont le moindre détail est minutieusement soigné. La robinetterie en bronze, le poêle à bois, la table en cèdre dont le bois dégage une merveilleuse odeur... Il y a des bateaux qui ont une âme, il y a des bateaux où tout est amour et passion... Nous sommes heureux de rencontrer des passionnés de voiliers classiques. Certains pensent que ce sont des objets de décoration mais nous ne sommes pas d’accord, car à l’époque, les voiliers étaient construits non pas pour le confort et l’espace, mais pour naviguer et bien se comporter sur l’eau... Les plans de la goélette datent de 1927 mais elle a été construite en 1993 en aluminium. Elle a connu plusieurs propriétaires et plusieurs noms. Elle a même fait partie du musée maritime de La Rochelle sous le nom de « Petite Lande ». Aujourd’hui, après une entière rénovation, elle porte le nom de sa propriétaire « Séverine » et c’est le plus beau voilier que je n’ai jamais vu !

Petit à petit, les bateaux lèvent l’ancre et nous avons la baie pour nous tout seul, un privilège de se retrouver solitaire dans ce cadre exceptionnel ! On commence à faire connaissance avec les locaux, c’est plus facile quand il y a moins de bateaux...

Après quinze jours dans ce petit paradis, nous retournons à Taiohae pour quelques jours avant de mettre le cap vers Ua Pou, notre dernière escale aux Marquises. Nous croisons des dauphins d’Electre, ils sont GÉANTS !!! Ils font 2,5 mètres et 200 kg ! Et puis, avant d’arriver, une bande de dauphins espiègles de taille normale nous accompagnent pendant plus d’une heure et jusqu’à l’intérieur de la baie ! Ils jouent devant l’étrave, ils frôlent la coque et puis ils se retournent sur le dos et frappent l’eau avec leur queue ! Bravo ! Quel spectacle !

De retour à Taiohae, Tom espère trouver une voiture qui l’emmène à la station-service pour remplir nos bidons de diesel. Il n’est pas timide, il aborde directement les gens sur le parking de la jetée et voilà qu’un type lui file les clés de sa bagnole ! « Je ne vais pas te conduire car je vais maintenant manger avec ma femme, je ne veux pas d’argent mais tu peux conduire toi-même ! ». Nous avons même oublié les présentations ! En Suisse, se serait inimaginable de prêter sa voiture à un inconnu ! Pour le remercier, on lui met quelques litres d’essence dans son réservoir. Qu’est-ce que c’est drôle de voir la tête des gens quand ils voient « le blond » au volant de la voiture d’Henri. En fait, c’est Henri qui nous a prêté sa voiture, le propriétaire du fameux restaurant « chez Henri », un amas de tables entreposés sous un toit coloré, des menus à 1000 francs (10$). Ici, on s’amuse en regardant les coqs qui font des compétitions de chants et dont la coupe de plumes s’ébouriffe avec le vent. Chose intelligente : deux multiprises pour charger les portables sont suspendues au-dessus des tables et, élément important car très rare ici : la connexion Internet est proposée gratuitement. On passe des heures à siroter des jus de pamplemousses tout en profitant du wifi. L’ambiance est sympa, surtout quand il y a des musiciens qui se retrouvent et jouent du ukulélé. On plaisante avec Moana venu livrer des pamplemousses, Henri et son t-shirt troué et sa femme qui rit aux larmes. Qu’est-ce que j’aime l’humour marquisien !

Demi-tour...

Nous sommes en route en direction de l’île de Ua Pou à 30 milles au sud de Nuku Hiva. Or, voilà que le moteur continue ses caprices ! Encore un énième épisode ! A peine sorti de la baie, il tourne de moins en moins rond et c’est de pire en pire ! Alors, Tom et moi, on se regarde, on a franchement envie de pleurer, il est plus raisonnable de faire demi-tour. Cette fois-ci, c’était le filtre à gasoil qui était encrassé et qu’il a fallu changer. Pour nous consoler, nous nous offrons un bon menu steak-frites « chez Henri », des fruits et légumes achetés au marché remplissent nos filets et nous rencontrons une raie Manta qui tourne autour du bateau. Un anglais vient nous voir et pose mille questions sur Vagabond, c’est son bateau de rêve ! James est aussi un puriste qui navigue en solo sur un petit voilier…

Ua Pou, L’île cathédrale

Le lendemain matin, c’est parti ! Le moteur fonctionne à merveille mais on ne l’utilisera peu car il y a du vent ! 15-20 nœuds de travers et une houle qui de temps en temps vient nous rafraîchir dans le cockpit. Vagabond navigue super bien ! Quel bonheur ! Et puis je n’ai pas le mal de mer ! Mais je prends toujours un comprimé de stugéron pour les courtes navigations et des patchs de scopolamine pour les navigations de plusieurs jours. J’ai aussi préparé les sandwichs avant le départ, cela m’évite les acrobaties culinaires et je reste à scruter l’horizon. Je ne me débarrasserai jamais du mal de mer mais j’ai appris à l’apprivoiser et à identifier tout de suite les premiers symptômes.

Nous approchons l’île de Ua Pou, prononcé « oua pow ». Surnommée l’île cathédrale, les pitons de plus de 1000 mètres filent vers les cieux, on dirait le château de la belle au bois dormant…


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